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C’est un vrai plaisir et honneur de partager avec vous cette interview faite en novembre 2015 avec l’un des tout meilleurs guitaristes de la planète : Ben Monder. Si vous le ne connaissez pas, il est difficile de vous recommander quelque chose en particulier car il peut autant jouer n’importe quel standard de jazz à la perfection ou jouer totalement free, et entre les deux, il peut jouer du Bach ou des compositions d’une très grande complexité rythmique et harmonique. Ben Monder a une expérience phénoménale, il a enregistré plus de 130 albums, il a joué avec des musiciens d’exceptions comme Paul Motian, ou plus récemment David Bowie.
Si vous voulez savoir quel genre de guitariste Ben Monder est, voici une petite anecdote : quelques jours avant l’interview, j’ai assisté au concert du quartet de Jérôme Sabbagh (où Ben Monder jouait). Après la balance, tous les musiciens sont allés manger quelque chose, sauf Ben Monder qui est resté sur scène à travailler… jusqu’au début du concert. Bref il n’a pas lâché son instrument et n’a fait que travailler. Bref, Ben Monder c’est l’exemple même du guitariste qui travaille énormément et qui se remet sans cesse en question.
Pour cet interview, vous avez le choix entre l’audio (en anglais) – vous excuserez le bruit d’arrière-plan par moments – ou l’écrit (en français).
Dites moi dans les commentaires, si vous aimez ce genre de contenus, je ferai mon possible pour en faire d’autres :).
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Q : Bonjour Ben. Pouvez vous vous présenter pour ceux qui vous ne connaissent pas?
Ben Monder : Je suis Ben Monder, je suis un guitariste résidant à New York City.
Q : Vous êtes né à NYC, mais vous avez étudié à Miami…
BM : Pas vraiment, j’ai passé un an à Miami et j’ai passé deux ans ensuite au Queen’s College (à New York donc, NDT) mais je ne suis pas allé jusqu’au diplôme.
Q : Ensuite vous êtes allé en Europe, en Autriche…
BM : Je n’ai jamais vécu là bas, mais le premier voyage que j’ai effectué en Europe était à Vienne – et je suis marié avec une autrichienne. J’y suis allé mais je n’ai pas vraiment vécu là bas.
Q : Donc en résumé, vous avez passé la majeure partie de votre vie à New York. Du point de vue musique, qu’est ce qui est unique à New York, que l’on peut pas trouver ailleurs?
BM : La première chose je dirai une constance dans le niveau, une intensité. Je pense qu’il y a des musiciens de tous les genres partout qui suivent ce que font les musiciens à NY et essayent d’imiter. Mais à New York il y a une concentration de musiciens de haut niveau. Ensuite je dirai que même s’il y a de grands musiciens partout au monde, le niveau est juste plus élevé à NY.
Q : Quel est le plus gros challenge pour vous en tant que musicien à New York?
BM : Le plus gros challenge a été de trouver des gigs (des concerts, NDT). Il n’y a pas tant d’endroits où jouer et ce que l’on gagne en moyenne est plus bas que dans d’autres villes car la compétition est plus grande. Il faut se battre un peu plus car il y a de plus en plus de musiciens qui veulent attirer l’attention sur eux. Mais même quand j’étais plus jeune, il y avait beaucoup de compétition. Et je ne suis pas la personne la plus encline à faire mon auto-promotion, donc c’est un challenge pour moi d’approcher des gérants de clubs ou des gens qui peuvent potentiellement m’aider. J’ai passé des journées frustrantes à aller d’un club à l’autre pour faire écouter des cassettes de ce que je faisais.
Maintenant trouver des gigs n’est plus vraiment le problème, c’est plutôt de trouver le temps de continuer à progresser musicalement, car il y a beaucoup plus de distraction aujourd’hui qu’auparavant.
Q : J’ai entendu dans une master-class Nasheet Waits dire que vous aviez essayer de jouer 24 heures d’affilée…
BM : Nasheet a dit ça ??
Q : Oui et apparemment au bout de 22 heures vous vous êtes endormi.
BM : J’ai essayé quelques fois. Je crois que c’est un rite de passage assez commun dans la musique Hindustani. Mais même avant cela, j’ai entendu Ratzo Harris, le bassiste, qu’il avait fait, et que cela avait changé sa vie. Et je voulais que ma vie change.
Q : Qu’avez vous appris de cette expérience?
BM : Je ne sais pas si j’appris quelque chose… Déjà, j’ai appris que c’était très difficile de rester éveillé autant de temps et de faire la même chose ! Mais en même temps c’est une expérience libératrice, car la plupart des sessions de travail on va pratiquer pendant 40 minutes ceci, 1 heure cela… car on a peut être 2 ou 3 heures seulement. Mais quand on a tout le temps nécessaire devant soi, on peut faire tout ce que l’on veut. En un sens, c’est relaxant. Tu sais que tu ne vas nulle part donc tu peux juste continuer. La première fois que j’ai fait ça, je pense que je me suis arrêté après 20 heures à peu près. Ces dernières heures sont difficiles. Mais j’ai senti les mois suivants que j’avais progressé. Je trouvais que mon jeu s’était amélioré conceptuellement et même techniquement, juste en faisant ça.
Et quand je l’ai fait plus récemment, il y a 2 ans environ, je n’ai pas ressenti les mêmes bénéfices. Peut être que je suis trop vieux pour tenter des trucs pareils !
Q : Vous pratiquez beaucoup la guitare. Pensez vous que vous auriez la même énergie si vous viviez ailleurs?
BM : Bonne question. Je ne sais pas si je suis ainsi en étant à New York, car je suis une personne assez obsessionnelle. J’aime bien me lancer des défis. J’ai l’impression que j’ai quelque chose à dire et j’essaye de trouver des façons de le dire.
Q : Vous ne savez pas comment je joue, mais si je vous donnais 1 000 000 dollars pour me coacher…
BM : Net d’impôts ?
Q : Oui net d’impôts :), … pendant 100 jours pour devenir le meilleur guitariste de jazz, à quoi ressemblerait le programme ?
BM : Le programme des leçons ou ton programme de travail?
Q : Les deux !
BM : Vous savez, il n’y a vraiment qu’une seule façon dont j’enseigne. Quand je les entends jouer, je peux leur faire des suggestions sur ce qu’ils pourraient travailler par rapport à leurs propres points faibles. Mais en gros je fais passer tout le monde par le même type de méthodes que j’ai moi même suivi – et que je peux exprimer dans une leçon. Je ne pense pas qu’il faille 100 heures ou 100 jours, je pense que je peux tout communiquer en une ou deux leçons. Je ne sais pas à quel point vous voulez que j’entre dans les détails.
Je commence par revoir les fondamentaux de l’harmonie, j’essaye d’être le plus exhaustif possible avec les fondamentaux : triades de manière diatoniques, des cycles diatoniques appliqués à différentes gammes, différentes gammes mineures, les modes, les accords 7…
Q : Avez vous un souvenir en particulier associé à votre expérience de musicien à New York?
BM : Je pense que j’ai pu voir la toute fin de la scène des « lofts » new yorkais où l’on pouvait voir vraiment les meilleurs musiciens dans des situations intimistes quasiment gratuitement à la fin des années 70 et au début des années 80. Je pouvais payer 5 dollars et voir 3 sets d’un groupe, c’était bien au delà de ma capacité de concentration.
Q : Un concert en particulier ?
BM : J’allais voir le quintet de Bob Berg et Tom Harrell Quintet avec Al Foster. Différents pianistes. Cedar Walton et George Coleman. J’ai vu Steve Grossman. John Scofield et Mike Brecker.
Mais vous savez ces endroits étaient vraiment des « dive bars » (bars miteux).
Q : Un peu comme le 55 bar (Je voulais dire le Fat Cat…, NDT)
BM : Figurez vous que la première fois que j’ai vu Paul Motian c’était au 55 bar, avec Bill Frisell à la guitare.
Q : C’était aussi « divey » qu’aujourd’hui?
BM : Ça l’était encore plus à l’époque ! Ce n’était pas vraiment un endroit où on venait écouter de la musique.
Q : Les gens jouaient à des jeux derrière… (le Fat Cat est une salle de concert avec pleins de jeux type billard etc, pas le 55 bar, qui est beaucoup plus petit et où il n’y a la place que pour le concert, NDT).
BM : Non mais les gens n’en avaient rien à faire.
Q : Quels sont les conseils musicaux que tu aurais aimé avoir déjà en tête il y a 20 ans ?
BM : (long silence)
Q : C’est peut être la réponse…
BM : Je pense à d’autres types conseils. J’ai reçu beaucoup de bons conseils, si je les ai écoutés ou pas, c’est encore un autre sujet. Certains diront qu’il faut se montrer, être agressif, … comme je l’ai dit auparavant je ne suis pas comme ça, donc j’ai pris le parti d’ignorer ce conseil. Mais j’ai eu reçu le conseil qu’il faut travailler, car c’est la chose la plus difficile à faire. Et cette leçon est toujours resté en moi : travailler le plus possible. Et aussi travailler le plus intelligemment possible, pas comme une machine.
Q : Qui vous a enseigné cela ?
BM : Quelques profs, à mes débuts. Un prof que j’ai eu à un conservatoire local utilisait des techniques pour nous faire peur, ce qui a marché. (je n’ai pas réussi à comprendre ni retrouver le nom de ce prof NDT). Vous devez avoir un peu peur quand vous voulez faire ce genre de choses, surtout aujourd’hui où de plus en plus de gens veulent faire la même chose. Des milliers, donc comment allez vous faire pour avoir de l’impact? Sans parler de gagner sa vie.
Q : Merci Ben pour cet interview, ce fut un vrai plaisir, as tu un dernier conseil ?
BM : Restez à l’école !
Q : Vous avez un album qui vient de sortir… (Amorphae sur ECM, NDT)
BM : Oui c’est un album qui est disponible depuis quelques jours. Très différent de ce que j’ai fait précédemment. Il est plus tourné vers l’improvisation et sur quelque chose d’atmosphérique. Et c’est une collaboration avec le producteur. Il contient des solos, des duos avec Paul Motian et Andrew Cyrille. Et quelques pistes en trio avec Andrew et Pete Rende.
Q : Merci Ben pour l’interview et on espère vous revoir bientôt à Paris pour des concerts avec Jérôme (Sabbagh, NDT) ou dans d’autres contextes.
BM : Merci.
Pour aller plus loin : d’autres interviews de Ben Monder.
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Merci pour ce partage et de nous faire découvrir des guitaristes qui sortent un peu des sentiers battus !
Merci pour ton commentaire !
J’espère faire d’autres interviews prochainement 🙂